
Extrait du loup trahi
En ces temps où les personnes magiques sont mal vues, Oliver cache un lourd secret : c'est un loup-garou.
Suite à la fortune soudaine de ses parents, l'adolescent accède à une école très côtée de Londale, la capitale de la Grande Albion.
Alors qu'il apprend à s'y faire une place et à maîtriser ses capacités, Oliver découvre que d'autres élèves sont également des êtres surnaturels.
Pris entre nouvelles amitiés, amours naissantes et rencontres clandestines, verra-t-il à temps que toutes les personnes magiques de la Capitale sont loin d'être aussi bien attentionnées qu'il y parait ?
Découvrez un extrait du premier chapitre !
« Chapitre 1 : Changements.
Oliver Gilbert repensa souvent à sa rencontre avec Chester Gordon, marquis de Huntly.
C’était deux jours après la rentrée des classes de onzième année à l’école mixte St-Mathew, un respectable établissement de Londale.
Mr et Mrs Gilbert, couple de courtiers immobiliers, venaient d’hériter d’un riche parent du Canada et se voyaient maintenant propriétaires d’immenses terres sur le Nouveau-Continent. Ils avaient décidé, après avoir acquis une demeure à la Capitale digne de leur nouveau statut, que l’ancienne école d’Oliver n’était plus assez chic pour lui, et l’avaient donc fait transférer à St-Mathew, où « des gens importants envoyaient leurs enfants ». (…)
Oliver avait supplié son père de ne pas le mettre en pension, mais Marius Gilbert avait refusé. Lui et sa femme Charmaine partiraient souvent en voyage, ils n’allaient pas laisser leur fils avec les domestiques pour toute compagnie.
— Au moins, que je loge dans une chambre où je serai seul ! »
Marius avait pouffé.
— Et pourquoi un tel luxe, jeune homme ?
Oliver avait cru rendre son dernier repas, tant il s’était senti mal. Les mois précédents, il avait lu et s’était renseigné autant que possible sur les gens comme lui. Certains avaient révélé leur secret à leur famille : les plus malchanceux avaient été abattus, beaucoup avaient été chassé de leur foyer. Certains avaient subi des traitements à base de plantes et d’électrochocs pour tenter de redevenir « normaux », en vain. Oliver ne voulait pas que ses parents le rejettent.
— Eh bien, avait-il répondu, embarrassé; mon corps a changé, et l’idée de me retrouver la nuit avec d’autres adolescents me gêne énormément.
Ce qui était également vrai.
Son père avait cédé. Oliver avait emménagé dans sa nouvelle école avec un poids en moins.
Ses nouveaux camarades l’avaient bien accueillis, et deux des filles de sa classe, Mary et Kate, lui faisaient déjà les yeux doux. Ce qui était plutôt flatteur, mais Oliver comprenait pourquoi; suite à son « changement », en l’espace d’un mois, il était devenu…beau, il n’y avait pas d’autre terme. Alors qu’il avait toujours été enrobé et maladroit (« Mon gros pataud » disait sa mère ou « mon petit porcelet »), et plus petit que ses camarades, Oliver avait grandi, pris en muscle ce qu’il avait perdu en gras, et il avait mué d’un coup.
Il avait encore du mal à reconnaître sa voix. Et son corps de petit garçon lui manquait. Le pire à supporter, c’était les poils. Et la faim le tenaillait très souvent. Ses parents mettaient ça sur le compte de l’adolescence.
Oliver craignait de ne pas se maîtriser si son estomac était totalement vide, aussi gardait-il toujours sur lui des biscuits ou d’autres friandises.
Il avait épuisé son stock dès dix heures ce jour-là; la prof d’Histoire venait à peine de s’asseoir à son bureau que la porte s’ouvrit sur la directrice de l’école, Mrs Lovelace. Cette femme d’une cinquantaine d’années toute grise (vêtements gris, cheveux gris) était suivie d’un immense garçon_il devait atteindre les deux mètres_ vêtu de l’uniforme de l’école.
Il émanait de lui une impression de douceur et de lumière. Ses cheveux, d’un blond chaud, lui arrivaient au niveau de la joue, en un carré sage.
Les propres cheveux d’Oliver lui paraissaient d’un blond presque blanc, « nordique » disait sa mère. Cela le démarquait trop de ses camarades. Il aurait voulu se fondre dans la masse et dissimuler son secret sous une couche de normalité. La venue du nouveau lui mit du baume au cœur. Avec un physique aussi atypique, il avait également dû vivre des moments difficiles. Ils pourraient peut-être devenir amis. Tandis que la directrice le présentait comme Chester Gordon, Marquis de Huntly, ce dernier parcourait la classe d’un regard timide. Oliver lui sourit, et Lord Huntly, Chester Gordon, s’illumina.
On dirait un ange. Il paraissait si pur.
La professeure indiqua une place à Huntly, et la directrice saluée par la classe, le cours reprit.
Oliver s’y absorba; il s’agissait d’étudier la réouverture de la Grande-Albion (Angleterre, Pays de Galles, Irlande réunifiée et Écosse) : d’un point de vue culturel, les Albionnais avaient développés leurs propres arts et productions mais maintenant, les gens étaient curieux de ce qui venait de l’étranger. Et surtout, à présent, on pouvait voyager pour les loisirs (auparavant, seuls les voyages d’affaires, diplomatiques ou pour raisons de santé étaient autorisés). Oliver aurait aimé visiter la France et l’Italie en particulier, mais il aurait bien aimé aussi accompagner ses parents au Canada. Parfois, il avait l’impression d’être devenu un poids pour eux.
À cette pensée il s’assombrit et s’efforça de changer de sujet de réflexion. Il regarda autour de lui. Deux tables devant, un garçon déballait discrètement un paquet de biscuits au gingembre. La salive emplit la bouche d’Oliver. Ces biscuits avaient l’air délicieux. Il détourna les yeux : sa voisine de gauche mâchait des bonbons aux fruits qu’elle piochait dans sa trousse à crayons. Malédiction ! Pourquoi ont-ils tous décidé de manger en même temps ?!
À l’extérieur, des oiseaux lançaient leurs trilles… Qu’est-ce que je ne donnerai pas pour des cailles en sauce… Du poulet à l’oignon et au miel… Du boeuf Wellington… Du steak bien saignant… Son estomac se tordit. La main qui tenait son stylo-plume tremblait. Il s’efforça de se concentrer sur les paroles de l’enseignante, mais bientôt, sa vision se troubla. Oh non. Pas devant tout le monde. Il leva la main.
— Une remarque, Monsieur Gilbert ?
— Pardonnez-moi, professeure. Je me sens malade. Puis-je me rendre à l’infirmerie, je vous prie ?
Toute la classe le regardait. L’odeur des bonbons et des biscuits lui venaient aux narines, l’étourdissant presque.
— Bonté divine, Gilbert ! Vous êtes effectivement livide ! Un volontaire pour l’accompagner !
Ce fut sa voisine qui leva la main. Ils quittèrent la classe.
Dans les couloirs Oliver nota qu’elle sentait le shampoing aux oeufs, une odeur agréable. Il tremblait tellement qu’il dut s’appuyer contre un mur pour ne pas tomber. Une pression douloureuse naissait dans les os de son bassin et dans le coccyx…dans ses pieds… Oh, Seigneur…
— Je… Je vais y arriver tout seul, tu… tu peux retourner en classe…
— Non, quelqu’un doit…
— Vas-y, grogna-t-il d’une voix basse.
Elle pâlit et fit demi-tour. Oliver attendit qu’elle soit hors de vue et courut en direction des dortoirs. Il arriva en nage à sa chambre, où il s’enferma à double tour. Il avait mal aux genoux, aux épaules, aux mâchoires, au crâne… Mon Dieu, aidez-moi… Il ôta son blazer et sa chemise précipitamment, se débarrassa des chaussures et du pantalon en un instant. Sa peau était effectivement livide. Manger.
Il ouvrit les tiroirs de son bureau. Des crackers au fromage. Cinq paquets qu’il engloutit en un clin d’ œil. Il ouvrit son armoire et sortit de sa valise du jambon fumé mis dans une boîte hermétique. Trois livres de jambon qu’il gardait en réserve pour les cas d’urgence. C’est un cas d’urgence.
Tandis qu’il dévorait ses premières bouchées de viande, son corps changea. Ce fut comme un spasme de l’ensemble de ses cellules, comme si chaque fibre de son être s’effilochait pour se restructurer.
C’était comme se vomir soi-même pour se réingurgiter.
En comparaison, ce fut moins douloureux que la fois précédente. Il ne s’était même pas arrêté de manger. Gêné par son caleçon qui le serrait, il s’en débarrassa et finit le reste de viande.
Il déglutit un nouveau flot de salive et se lécha le « nez ». Il percevait l’odeur des miettes de crackers au fond des paquets, celle de l’encaustique sur le parquet ciré, et celle de ses vêtements. Les larmes aux yeux, il regarda ses mains, ses bras, le reste de son corps. Du poil partout, des pieds qui ressemblaient davantage à des pattes, des griffes en guise d’ongles, et… il se toucha le visage. Un museau.
Oliver se laissa aller au sol. Je suis un monstre.
Il se mit à pleurer amèrement et ses pleurs ressemblèrent à ceux d’un chiot.